Après la peur

« La France a peur. »

Célèbre formule-choc, prononcée par un présentateur de JT à la mine triste et aux yeux battus, à la fin des années 70, pour évoquer la terreur que faisait régner le plus célèbre gangster de l’époque, Jacques Mesrine.
Aujourd’hui, on en serait presque à regretter l’époque où un criminel, depuis incarné de manière romanesque sur grand écran par l’excellent Vincent Cassel, était considéré comme l’ennemi public numéro 1.
En 2020, c’est un tueur en série avec plus de 25.000 victimes en France qui fait la une, et la réaction de nos concitoyens n’est, bien sûr, plus la même.

Avant de parler des conséquences, une réflexion sur la génèse de cette horreur, et sa lecture par les analystes : il suffit de se promener sur la toile pour voir fleurir nombre de commentaires, tous ourlés de bonnes intentions, qui tournent autour du mantra : « on vous l’avait bien dit, c’est bien fait pour nous. »
Vieux réflexe judéo-chrétien que de battre sa coulpe et de considérer ce qui nous arrive comme une punition divine ou un avertissement céleste sur la prochaine fin de monde !
Toutes proportions gardées, ce genre de commentaire me rappelle l’époque nauséabonde, au début des années 80, où le SIDA était considéré comme le cancer aussi punitif qu’expéditif des homosexuels, avant que quelques cerveaux éclairés et la progression exponentielle de l’épidémie dans toutes les catégories de population ne fassent taire les néo-inquisiteurs.

Admirons plutôt l’esprit visionnaire de Bill Gates, qui avait anticipé cette terrible épidémie dès 2015, ou déplorons l’imprévoyance de nos gouvernants, alors que des rapports pointant l’insécurité de ce laboratoire de Wuhan (construit avec l’aide logistique et financière de la France, avant qu’elle ne l’abandonne) leur étaient connus de longue date.

Sur les conséquences, comme nous l’avons déjà dit, quand l’Homme a peur de mourir, ou de voir mourir ses proches, il se recroqueville, il se referme, réflexe aussi séculaire que naturel. Et donc contraire à tout ce qui, dans une société capitaliste, constitue le moteur à tout projet d’investissement : la confiance.
Ajoutons qu’à cette peur primale qui nous étreint, se surajoute l’incompréhension qui a suivi toutes les annonces contradictoires subies depuis deux mois : inutile d’en faire ici l’inventaire, les humoristes ont su exploiter le filon à merveille pour en faire leurs choux gras.

Alors, quelle solution, quel avenir ?
Mauvaise nouvelle pour mes courageux lecteurs, j’ai cassé ma boule de cristal, à force qu’elle me fourvoie et m’induise en erreur !
Donc, je n’explorerai que des réponses pragmatiques, à travers ce qui nous a été enseigné dans les crises précédentes.

Tout d’abord, comme nous avons écarté la thèse de la punition divine, la meilleure réponse à cette crise d’origine sanitaire sera…sanitaire, donc un traitement curatif qui éviterait la mort, puis et surtout un vaccin changeraient la donne, radicalement, mais ne rêvons pas, peu de chances qu’il intervienne avant 18 mois.
Alors, si l’être humain vit avec la peur (et c’est cette peur, par le respect du confinement, qui nous a épargnés des dizaines de milliers de morts supplémentaires), il s’y habitue, et nul doute que nos vieilles habitudes de consommation, d’investissement, de retour à la vie pour résumer, reverront le jour, immanquablement, à terme.

Quant à notre domaine particulier d’intervention, nombre de nos clients, vendeurs ou acquéreurs, nous ont interrogés ces dernières semaines sur notre prévision pour cette année.
Aussi, étudions ce qui s’est passé lors des crises précédentes (guerre du Golfe en 1991, attentats du 11 septembre en 2001, crise des subprimes en 2008/2009).
Pour les deux premières, le stop puis le go furent dictés par la confiance perdue puis retrouvée, grâce à une réponse militaire (américaine notamment, en Irak puis en Afghanistan) à une situation précise (invasion du Koweït par l’Irak puis attaque terroriste contre les Twin Towers).
Pour les subprimes, ce fut plus délicat, mais il faut noter que les gouvernants de l’époque ont largement pris le lead dans ces périodes difficiles et ont su tenir des positions et des discours forts, pour redonner confiance : Mr Obama bien que fraîchement élu, Mr Sarkozy, Mme Merkel, notamment, furent exemplaires en ces temps troublés.
A l’inverse, aujourd’hui, nos élus, à force de confondre les citoyens avec des consommateurs, ont davantage pris conseil auprès d’experts en communication et autres spin doctors, délaissant le fond au profit de la forme, confondant le moyen (ce sacro-saint tam-tam médiatique) avec la fin (réflexion, puis action). Le résultat fut…cacophonique, et donc cataclysmique, à l’exception notable, une fois encore, de l’inusable Mme MERKEL.

D’autre part, l’ampleur sans précédent de cette crise, avec des pans entiers et essentiels de l’économie à l’arrêt pour un temps certain (tourisme, hôtellerie, restauration, aéronautique, culture, sport) génère un effet anxiogène qui pourrait stopper là toute discussion.

Et pourtant, à bien y regarder, les raisons de rester serein (à l’exception de la santé de chacun, sujet primordial et non négociable) existent.

En premier lieu, ne pas croire que cet arrêt de la confiance ressemble à un orage soudain dans un ciel clair : tous les indicateurs dans notre activité nous montraient que la deuxième partie d’année 2019, notamment depuis la rentrée de septembre, marquait, non pas un essoufflement, mais un ralentissement, comme la fin d’un cycle d’euphorie initié en France depuis 2017 et l’arrivée au pouvoir de Mr Macron.
C’était donc, peut-être, pour notre marché méridional (à la différence de Paris en progression régulière pour atteindre des cimes jusqu’ici inexplorées au premier trimestre 2020) un répit nécessaire pour que vendeurs et acquéreurs puissent se retrouver sur un point d’équilibre.
Notre région, justement, jouit d’avantages non négligeables : cette course au soleil qui existait avant le confinement sera encore davantage marquée quand nos concitoyens auront recouvré leurs esprits, les secteurs impactés cités précédemment recélant de vraies pépites tant en termes de structures que d’entrepreneurs, notamment dans notre métropole d’Aix-Marseille, pour se réinventer, et surtout présenter de nouveaux modèles économiques adaptés à ce bouleversement sociétal.
Quant à la démographie de notre région, outre ses nouveaux et nombreux arrivants, elle connait un fort taux de retraités et de fonctionnaires, qui représentent, à peu de choses près, avec les agriculteurs, les seules catégories sociales à ne pas être sinistrées par cette crise sans précédent. Le lecteur pourrait sourire en découvrant que les retraités et les fonctionnaires contribuent à faire repartir l’économie d’une région, mais ils constituent, réellement, une sorte de matelas de protection pour enclencher à nouveau la machine, sur le cœur du marché de la résidence principale, cette dernière représentant une grande part des transactions.
Aussi, les acquéreurs qui feraient le calcul d’attendre un effondrement des prix pour réaliser « la bonne affaire » risqueraient de patienter en pure perte, et ne réussiraient qu’à diminuer le volume des transactions, sans altérer notablement la valeur moyenne des biens. Certes, les accidents de la vie obligent parfois à presser une vente, qu’il s’agisse de licenciements, divorces, décès, mais en dehors de ces cas exceptionnels, rien n’obligera un vendeur à avancer dans un processus de vente anxiogène. Dans ce cas-là, il préfèrera à coup sûr temporiser et attendre des jours meilleurs.
Quant aux prix moyens d’une ville ou d’un quartier, il est impossible, là aussi, de généraliser mais les tendances, au gré des crises, aboutissent souvent au même résultat : l’exceptionnel continuera d’être recherché, prisé, et j’imagine mal de fortes corrections ; ce sont plutôt les biens dans le deuxième voire troisième cercles, c’est-à-dire des secteurs qui ont progressé mécaniquement car des acquéreurs exclus du premier se rabattaient sur eux, qui risqueraient de voir certains prix baisser, de l’ordre de 10 à 15%, comme on l’a vu en 2009 par exemple.

Mais quoi qu’il en soit, sauf improbable implosion de la pandémie, la nature humaine est résiliente, et les latins notamment ont cette force de caractère qui les incite à se relever, encore et toujours, et à avancer.
Je consultais récemment, pour les besoins d’une origine de propriété, les archives de notre Office à la recherche d’un acte réalisé pendant la 2nde Guerre mondiale, et j’ai constaté que si les minutiers étaient fort peu remplis dans les années 1941 et 1942 (en termes de crise, ce doit être pire qu’un virus…), dès 1943, les gens d’ici ont recommencé à sortir, à investir, à chercher le bout du tunnel. On ne dira jamais assez, Balzac en était le premier convaincu, à quel point les actes notariés sont le reflet de leur époque, tant dans leur forme, leur contenu, que dans leurs statistiques.

Ce chaos n’est ni une parenthèse, ni une énième crise, il s’agit en réalité d’une catastrophe humaine et économique sans précédent, mais l’être humain est ainsi constitué qu’il ne se complaira pas éternellement dans le malheur et l’affliction, et qu’un jour prochain, ses peurs cèderont à nouveau la place à ses envies : entendre les rires des enfants, redécouvrir les merveilles de Rome et de Florence, se baigner à nouveau dans notre Méditerranée, admirer les robes des filles à la terrasse des cafés.
Beaucoup d’entre nous ont relu « La Peste » en ces temps de confinement, alors je ne résiste pas au plaisir de citer le bel Albert, dans « Retour à Tipasa »  en guise de conclusion :
« Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été. »

Jean-Pierre Lameta, Notaire