« Distance focale »

Qui l’eût cru ? 2020 restera une année exceptionnelle, inoubliable, extraordinaire !

Nous avons éprouvé notre patience, notre constance et aussi nos stocks de gel hydroalcoolique.

Et pourtant, outre cet humour sarcastique et de mauvais aloi, force est de constater que notre profession, comme notre société, auront tellement évolué, comme souvent à la (dé)faveur d’une crise.

Il est indéniable que le bond dans le digital que certains auraient hésité à accomplir s’est imposé par le contexte, le télétravail qui n’était que vaguement évoqué est devenu une solution pérenne, à condition d’être encadré et maîtrisé, surtout dans nos centres urbains dont certains salariés sont géographiquement éloignés.

Néanmoins, pour résumer les neuf mois qui viennent de s’écouler, une frénésie de vivre et de consommer a succédé durant l’été à la peur primale du printemps, avant que le spectre automnal de la reprise de l’épidémie ne nous fasse sombrer dans une déprime seulement teintée de quelques espoirs nés d’un vaccin tout neuf et d’un président américain si vieux.

Ce qui m’aura pourtant le plus marqué durant cette période, à l’instar de nombre de mes confrères, aura été la dégradation des mentalités, surtout à l’occasion du déconfinement.

Si nos vœux de reprise formulés au mois de mai ont été exaucés, la brutalité de celle-ci s’est accompagnée, chez nombre d’intervenants, de nervosité, volatilité, versatilité. Chacun s’est en quelque sorte comporté comme un survivant, un miraculé, à qui tout serait enfin permis. De fait, ces attitudes se sont tellement répétées à l’envi que les égoïsmes de tous ont fini par se rencontrer, s’opposer, voire s’affronter.

Ce que nous avons vécu dans nos offices n’est qu’une déclinaison légère de ce qu’a connu notre société, dans son irrépressible sauvagerie : la lecture des faits divers égrenés tout au long de cette année n’en a constitué que la pire des démonstrations, jusqu’à la caricature, sans mauvais jeu de mots…

Nos entreprises, quelle que soit leur taille, n’ont pas été épargnées par ce tourbillon de « Déconfiné/décomplexé » qui a fini par tourner au « Moi d’abord ».

Force est pourtant de constater que personne, à part nos soignants, n’a résisté à un ennemi, ni pris les armes pour défendre la patrie : on nous avait simplement demandé de rester chez nous, ennuyeux certes, mais si peu héroïque…

Tellement difficile de tenir la barre dans ce contexte, et en même temps, tellement prévisible et compréhensible.

En effet, nous avons passé deux mois dans des cercles intimes et familiaux, avant d’être jetés dans une arène souvent virtuelle et masquée, puis enfin reconfinés à moitié pour être privés des plaisirs simples de la vie.

Les séquences émotionnelles se sont enchaînées sur un rythme saccadé autant qu’un courant alternatif.

Alors, puissions-nous un instant « tomber les masques » à tous les sens du terme, oublier les distances sociales que nous avons transformées en déserts affectifs et nous retrouver sur ce qui fonde notre socle, nos valeurs, dans une nation comme la nôtre : l’esprit, l’intelligence, la résilience, l’unité, en un mot l’humanité.

Peut-être, en admirateur de Napoléon ou Clémenceau, m’arrive-t-il de regretter qu’un homme ou une femme ne génère pas un souffle épique de nature à engager tout un peuple derrière lui, mais ces héros ont été révélés dans des temps autrement plus troublés que le nôtre. Alors tant pis, faisons avec, ou plutôt sans.

Il m’est pourtant arrivé, comme à chacun d’entre nous, des moments de grâce au cours de cette année, les miens l’ont été comme toujours dans ce métier avec des humains, qu’ils soient médecins, écrivains ou architectes, eux inventent un futur plus exaltant que ce cloaque dans lequel nous avons tenté de nous débattre.

Le magnifique et immortel Jean d’Ormesson, homme admirable entre tous puisque amateur en vrac de mots, de femmes et de Saint-Florent, n’avait-il pas écrit un jour, dans son obsessionnelle quête de l’existence de Dieu : « La science, la morale, l’histoire se passent très bien de Dieu. Ce sont les hommes qui ne s’en passent pas. »

Alors que le temps de Noël va arriver, retrouvons, moi le premier, un peu d’énergie et de hauteur, que l’ « autre », celui que les chrétiens appellent « son prochain » , ne soit plus considéré comme un obstacle à ses envies ou ses desseins.

Pourquoi pas un peu de distance, non pas sociale mais focale, cette vieille notion d’optique qui nous rappelle que toutes les distances sont positives lorsqu’elles sont orientées dans le sens de la propagation de la lumière. Elle est peut-être tout près, après tout !

Jean-Pierre LAMETA, Notaire